23HBD,  Écriture,  Eyridian

Écrire, partie 2 : Tirer des plans sur la comète

“Trouver n’est rien, c’est le plan qui est difficile.”
– Fiodor Dostoïevski

Bonjour, cher lecteur, chère lectrice ! Me revoici pour te parler d’écriture, et plus précisément du plan.

Comme je l’ai dit dans cet article, beaucoup d’idées se bousculent dans ma tête, à peu près… tout le temps, et lorsque j’en ai une que je pense pouvoir exploiter, je la note quelque part. Résultat, j’ai des idées et des morceaux de romans, de BD, de dessins… sur tous les supports possibles. Je n’ai plus qu’à piocher lorsque j’ai besoin de matériel (c’est d’ailleurs comme ça que j’ai écrit le premier tome d’Eyridian).

Cependant, mon inspiration et mon envie s’essoufflent vite. C’est pour ça qu’après l’écriture du « Pays Noir », j’ai décidé de partir sur une autre façon d’écrire, qui convient mieux à ma façon de travailler : le plan. Je fais des tableaux, des frises, que je partage sur mes réseaux, et forcément, ça titille la curiosité. Je vais donc te montrer comment j’ai procédé pour mes deuxième et troisième tomes des Chroniques d’Eyridian. Encore une fois, ce n’est pas une « recette », dans le sens où tout le monde fonctionne différemment. Peut-être qu’après l’écriture de ce tome-ci, je voudrais essayer autre chose… à ce moment, je t’en parlerai !

… sauf si tu ne veux pas, bien sûr.


1 – Le plan : du jardinier à l’architecte

Un peu de vocabulaire tout d’abord : on dit, lorsqu’on travaille sur l’écriture en tant que pratique, qu’il y a deux « types » d’auteur-ice-s. Les jardiniers et les architectes. Apparemment ce serait G.R.R Martin qui aurait utilisé ces termes en premier, mais… Bref. 

Les jardiniers plantent la graine de leur histoire et la laissent les porter là où elle veut. Ils observent les personnages grandir, faire leurs choix, et les événements arriver. Ils ne prévoient pas, ou le moins possible. Et c’est cool. C’était moi, avant. 

Les architectes, de l’autre côté de la barrière, sont un peu des obsédés du contrôle. Ils vont construire leur histoire pierre par pierre, sans rien – ou presque – laisser au hasard. Chaque événement sera prévu, les objectifs et arcs dûment notés quelque part. 

Les deux façons de travailler sont aussi productives ou légitimes l’une que l’autre, et les personnes qui écrivent naviguent souvent entre ces deux extrêmes. Entre ne rien prévoir et ne rien laisser passer, entre lâcher-prise et rigueur, il y a un monde. 

Si tu es intéressé-e par le côté « jardinier » de la Force, tu peux jeter un œil sur cet article de « Writing SFFF » qui est intéressant.

Laisser pousser son histoire… (allégorie)

Je suis plus du côté des architectes pour ma part. Enfin, j’essaie, surtout depuis que j’ai lu Anatomie du scénario, de John Truby (le livre jaune, de la première image de cet article), et que je me suis rendu compte que j’avais besoin – personnellement – de savoir allaient mes personnages et pourquoi. Après réflexion, je pense que je suis très influencée par ma pratique de la BD aussi, et du marathon des 23HBD, durant lequel, sans plan et storyboard précis, je ne peux pas finir mon histoire.


2 – Le plan : les personnages

Je dresse deux plans lorsque je commence une histoire. Un plan qui va concerner les personnages, comme une « feuille de route », avec leur destination en rouge. Ce plan décrit les arcs narratifs propres à chaque personnages. Leurs besoins, leurs défauts, ce qui les motive : pourquoi ils sont qui ils sont. Et ce qu’ils sont censés devenir à la fin (ça peut changer, comme j’en ai fait l’expérience avec l’un de mes personnages qui a évolué tout à fait bizarrement). C’est encore une recommandation de John Truby, et, bien que je l’aie arrangée à ma sauce, elle m’a bien servie. Voici ce que je dresse pour chaque personnage principal :

  • Son objectif ou besoin conscient : l’objectif qu’il ou elle poursuit, que les autres personnages peuvent éventuellement connaître. Dans le tome 1 d’Eyridian, l’objectif d’Alyssa est de retrouver son frère.
  • Son besoin inconscient : on a tous et toutes des motivations internes qui ne nous sont pas forcément connues. En quittant les Dursley pour aller à Poudlard, Harry entre dans une communauté, oui : mais il se trouve surtout une famille, ce dont il avait vraiment besoin.
  • Sa/ses failles (si possible…) C’est l’erreur que j’ai faite dans le premier tome des Chroniques. Alyssa n’avait pas de faille, ou pas suffisamment importante pour l’empêcher d’accéder à son objectif. Maintenant, j’essaie de plus jouer sur ses faiblesses, parce que c’est comme ça qu’elle grandira.
  • Je me fais également un petit historique, et des choses importantes à savoir. Par exemple, le fait que Servän soit végétarienne jouerait un rôle important s’ils se retrouvaient confrontés à des Ghobelins, qui ne mangent que de la viande (je dis ça comme ça). 

À lire : Objectifs et besoins, par ScenarMag

Désolée, je floute pour éviter de spoiler

Je sais, ça fait beaucoup. Mais pour moi, c’est indispensable de bien connaître mes personnages, pour leur laisser un peu de liberté ensuite. C’est pour ça que je sais que le comportement de Jerod est cohérent, malgré son opacité manifeste. C’est pour ça que je sais comment et pourquoi Aorden maîtrise la langue des Fae. Je sais aussi qui a vraiment tué les parents de Lylianna, et d’où viennent Alyssa et Jerod. 

Pour le tome 2, pour vérifier que l’évolution des personnages était cohérente, j’ai noté sur une frise regroupant les chapitres les arcs narratifs de mes protagonistes. Mais ça c’est parce que je pousse le bouchon un peu loin (Maurice). Je n’ai pas fini la frise d’ailleurs…

Au départ, j’avais prévu 21 chapitres… Il y en a 32.

3 – Le plan : l’histoire !

Voilà la partie que j’adore. Je te l’avoue, j’adore faire des tableaux. Mes élèves s’en mordent les doigts, d’ailleurs, mais je trouve ça tellement visuel et compréhensible que j’en fais tout le temps, partout, pour tout. Là encore, il y a peut-être un lien avec la BD et la pratique du storyboard, que je fais dans des… cases.

(cf le nom du blog, tu l’as ou pas ?)

Malheureusement, avant le tableau (je te l’ai dit, je pousse le bouchon), il y a la préparation. C’est quoi ? C’est tout simplement dérouler l’histoire en une liste d’événements et de choses qui me semblent importantes. Exemple : 

  • Prologue : une reine n’arrive pas à avoir d’enfant (goutte de sang/neige == prénom !!)
  • Au final elle a une fille mais elle meurt
  • La fille grandit et devient magnifique, seulement sa belle-mère devient de plus en plus jalouse : scène miroir
  • Le roi part en voyage
  • La reine envoie sa chasseuse tuer la princesse, mais au final la chasseuse refuse et laisse la princesse dans les bois (là ce serait bien une course poursuite dans le château – panoramique forêt – peut-être que du point de vue de la reine ? Elle la croit morte)
  • la princesse erre dans les bois, et tombe sur une maison…

Un cookie à celui/celle qui choppe la référence.

Bref, tu as compris le principe. Ça peut être très bref, comme « le roi part en voyage », ou plus long. Mais avec ça, j’ai ma liste (j’adore les listes aussi) d’événements. J’ai la trame principale de mon livre. Elle pourra changer, elle n’est pas gravée dans le marbre – je songe d’ailleurs à réécrire entièrement le début du tome 3 – mais ça me donne une direction. Avant de réussir à faire la liste d’événements de mon tome 2, j’ai rêvé, imaginé, vécu l’histoire pendant près de deux mois. Et cette histoire, pas exactement la même, mais cet univers et ses règles, sont dans ma tête depuis plus de dix ans. Donc il y a pas mal de « macération » avant de se lancer dans le plan, hein. Ne t’en fais pas si ça ne sort pas tout de suite.

Lorsque j’ai fait cette liste -brève- d’événements, j’essaie de la dérouler plus. D’ajouter des détails. Pour cette étape-là, je préfère basculer sur papier – pour pouvoir voir les événements de façon spatiale, ça m’aide à voir la progression. Pour le tome 2, j’ai écrit sur des feuilles le déroulé de l’histoire. Pour le tome 3, je suis partie dans un délire plus « artistique » et j’ai fait une frise chronologique avec des symboles représentant les différents éléments dramatiques de mon histoire, pour vérifier l’équilibre (je te l’ai dit, que je poussais le bouchon…? ). 

Un plan pour un autre cycle d’Eyridian / Le plan du T.2 / Une fiche personnages 
Chaque couleur représente un arc narratif. L’étoile signifie un moment-clé dans l’histoire. La spirale une avancée à propos/entre des personnages, et l’éclair un conflit important.

À ce moment-là, je n’ai pas divisé l’histoire en chapitres. Bon, pour être tout à fait honnête, étaler l’histoire comme je l’ai fait pour le tome 3 a rendu la découpe plutôt évidente -même si, en cours d’écriture, les choses évoluent- mais ce n’est pas l’objectif de cette étape. Là, je voulais juste poser l’histoire.


4 – Le plan, les chapitres, et la poutre…

Attention.

Ce que je m’apprête à te répéter est d’une importance capitale.

Jusqu’à ce que le livre soit parti à l’impression, jusqu’à ce que les premier-e-s lecteurs et lectrices fassent les premiers retours, l’histoire n’est pas fixée (même s’il faut la lâcher un jour, hein !!!). Pourquoi je dis ça ? Parce que je ne veux pas que tu te dises que dès le départ, l’histoire est dans ma tête, que je suis un robot qui enchaîne l’inspiration, le plan, la découpe, l’écriture, l’illustration, et hop c’est bon. Non non non.

Exemple concret, qui te parlera si tu as lu le deuxième tome d’Eyridian : au départ, Maë était supposée arriver à Bar’velys avec Servän et Jerod. J’ai réécrit cinq chapitres pour lui donner une place et une lumière différente. J’ai modifié intrinsèquement les relations entre les personnages, parce que ça ne collait absolument pas avec leur histoire personnelle. 

Se dire que lorsqu’on a découpé notre histoire en chapitres, c’est bon, elle est fixée, c’est se fourrer la poutre dans l’œil. J’ai beau tendre vers l’architecte, j’ai un côté jardinière aussi, et mes personnages me surprennent parfois en fonçant tête baissée dans des situations que je n’ai pas prévues ou en en évitant d’autres. 

Mais bon. J’espère que tu es aussi impatient-e que moi, parce que maintenant, c’est l’heure du tableau. Oui, le tableau ! 

Goldie Hawn dans « La mort vous va si bien » (je crois)

Donc. Pour les chapitres, je travaille d’abord à partir de ma liste « étendue ». Pendant l’écriture à proprement parler, je rectifierai le nombre des chapitres suivant la matière que j’ai à apporter pour tel ou tel moment dans l’histoire. Mais bon. 

Mon tableau de chapitre va me servir de plan de l’histoire, mais aussi de plan de travail (je combine parce que j’aime bien tout avoir sous la main, et voir ma progression). Je l’ai fait pour la première fois lors du troisième tome d’Eyridian, donc c’est encore un prototype.

Je trace donc un tableau dont la première colonne sera le numéro/nom du chapitre, avec des mots-clés qui résument ce qui se passe dedans (oui, ça aide au final). La seconde colonne, que j’appelle DRAFT par paresse, correspond au premier jet. La troisième, je l’appelle COR1, fait référence à la première correction du texte. C’est une correction orthographique, de grammaire, de style aussi, un peu, mais elle est loin d’être parfaite. Elle est faite en général juste avant l’envoi du chapitre en question à mes bêta-lecteurs et lectrices, dont la relecture attentive est l’objet de la quatrième colonne, BETA. Enfin, après tout ça, la dernière colonne, FINAL, est là pour me rappeler de mêler les réflexions de bêta-lecture et mes propres idées, de repasser une petite correction orthographique et de voir s’il n’y a pas de coquille.

Il vaut mieux laisser s’écouler un petit temps entre la période « bêta » et le « final », sinon on laisse passer pas mal d’erreurs qu’on aurait pu éviter -enfin, moi en tout cas, c’est ce que j’ai fait pour mon deuxième tome.

Je découpe les colonnes en trois parties, que je colorie au fur et à mesure de mon avancée.

Ça donne ça quand c’est bien entamé. Tu peux remarquer que je ne fais pas forcément les étapes l’une après l’autre !

?? Si tu veux utiliser mon tableau, clique pour télécharger le fichier !

C’est tout ce que j’ai à dire concernant ma façon de faire mes plans, je crois. Et cet article est déjà bien long, encore une fois ! J’espère que tu es toujours là. Si oui, tu peux écrire « Vive les Pouhi » en commentaire de cet article. Ça me fera rire. Et puis les Pouhi c’est classe.


Pour aller plus loin dans les plans et les structures

  • Structurer un récit, par Samantha Bailly : regarder la vidéo
  • Structurer un récit, sur le site Narration & Caféine (ça rejoint la vidéo de Samantha) : ici
  • Découper son livre en chapitres, par le même :
  • La méthode flocons (se lancer dans l’écriture), encore et toujours Narration & Caféine (parce que ce site est une pépite en vrai) : on clique

Si tu as des questions, une expérience à partager, des remarques… Commente cet article ! Tu es plutôt du côté des jardiniers ou des architectes ? Ce type d’article te plaît ou pas du tout ?

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